34 / 8-11 & 12
Dark Water & Death in Heaven
de Steven Moffat
Réalisation : Rachel Talalay
Un fil rouge saisonnier sur le paradis, un bodycount exceptionnel, un Docteur qui s’est joué de la mort pour entamer un nouveau cyle de régénération. Un bon nombre d’indices portaient à croire que la destination finale de cette saison serait l’au-delà, mais rien ne laissait présager la raison de ce voyage périlleux : Danny meurt renversé bêtement par une voiture. Clara perd le contrôle. Elle menace le Docteur de jeter toutes ses clés du TARDIS dans un volcan s’il ne modifie pas le passé. Connaissant les conséquences d’un tel choix, Twelve refuse. Clara s’exécute. Mais la scène n’a existé que dans l’esprit de Clara, car le Docteur a provoqué un rêve qui laissait se déroulait les événements tels qu’elle les avait prévus. De retour dans la réalité, il lui propose d’aller récupérer Danny là où il peut-être à présent, si jamais c’est encore possible. Connectant Clara au TARDIS, il remonte sa ligne temporelle et atterrit dans la Nécrosphère, étrange lieu où tous les morts de la saison ont atterri (parmi eux l’androide de Deep Breath), y compris notre androide humain. Un messager, Seb, y accueille Danny Pink.
L’au-delà est un peu un point de non-retour pour une série qui a pour credo de rationaliser tous ses aspects fantastiques. Mais nous savons depuis le début de la saison que l’hôte de ces lieux est la mystérieuse Missy (Michelle Gomez) qui semble connaître le Docteur, et nous découvrons très vite qu’ils abritent une entreprise bien terrienne, 3W Institute. Entendant l’appel des morts, le fondateur de l’Institut aurait découvert qu’ils restaient conscients et supportaient le sort qui leur était réservé, d’où l’idée de leur offrir un service de soins post-mortem. Alors que Clara reprend contact avec Danny, le Docteur découvre que l’Institut dissimule les âmes de millions de morts chargés dans un disque dur gallifreyien alors que Missy n’attend que d’upgrader les corps dans des armures de Cybermen. Il découvre également que le siège social de la société est la cathédrale Saint-Paul au cœur du Londres actuel. Un blasphème qui ne peut dissimuler que l’ennemi historique du Docteur : le Maître, devenu entre temps Missy, qui compte sur les âmes upgradés en cybermen stockés dans son cloud pour polliniser chaque agglomération mondiale et que les morts des cimetières deviennent tous cybermen.
Missy impose un selfie au Docteur
Le changement de sexe du Maître fut la plus grande révélation de ce season finale. Steven Moffat avait déjà laissé poindre l’idée d’un Docteur féminin dans le parodique The Curse Of Fatal Death mais la régénération inter-sexuelle n’avait jamais effleuré les canons du show. L’entrée en matière de ce précurseur de Maître laisse donc une porte ouverte à une Docteure, idée suggérée avec la fausse intronisation de Clara dès l’épisode suivant par le showrunner (générique à l’appui !). Cette idée aboutira comme on le sait trois ans plus tard, à la régénération suivante. Force est de constater que Michelle Gomez orchestre brillamment cette transition, campant un Maître qui n’a rien à envier à Roger Delgado, Anthony Ainley ou John Simm, incarnant une Mary Poppins frappadingue entre gringue au Docteur et meurtres de sang froid. La rencontre dans l’au-delà des deux Seigneurs du Temps qui ont vaincu la mort porte en elle une belle ironie. Nous apprenons également que c’est elle qui a orchestré la rencontre de Clara et du Docteur en communiquant le numéro du TARDIS à la jeune femme et organisé leur rabibochage, anticipant le lien de dépendance que le Docteur développerait au contact de Clara. Voyant où ces deux-là sont arrivés durant cette saison, elle n’aura pas perdu son temps.
Completely Bananas
L’intervention de UNIT est un juste retour de la thématique militaire de la saison puisque l’organisation fut le premier contact du Docteur avec une autorité militaire terrienne (le renvoi au Brigadier est émouvant) avant qu’il n’en devienne le chef. Suite à cette invasion de cybermen, le voilà propulsé Président de la Terre, commandant en chef de toutes les armées terriennes. Dans une scène aux allures de troisième acte de tragédie, le Président Docteur se retrouve face au super soldat Danny Pink sur le point d’être upgradé en Cyberman. Afin de le convaincre de ne pas alléger ses souffrances, Twelve raconte comment le Maître s’est perdu. Il cherche ainsi à convaincre Pink que la souffrance qu’il ressent est précieuse car elle lui permet de prendre conscience de celle qu’on inflige aux autres. Le soldat s’étonne que le Docteur puisse ressentir des émotions, et lorsqu’il le lui confirme, Danny Pink rétorque qu’il devrait avoir honte de ce qu’il fait. Le Docteur acquiesce, avouant la difficulté de sa position.
Président malgré lui
Missy / Le Maître est le général que Pink voyait dans le Docteur, le Cyberman est le soldat que le Docteur voyait en Pink. Missy à la tête d’une armée de soldats morts tandis que le Docteur défend les vivants appuie cette considération sur la souffrance des soldats, l’état de chaque armée représentant le point de vue du Seigneur du Temps officier sur les hommes qu’il envoie à la guerre. Steven Moffat connaît à ce point la mythologie de la série qu’il sait quels éléments particuliers utiliser pour illustrer son propos, amplifiant le signifiant de chacune des confrontations de ce final. Et d’enfoncer le clou en justifiant l’initiative de Missy par la volonté d’offrir une armée à son ami, puis en laissant le Docteur confier cette armée au soldat Danny Pink dans une très belle tirade.
Ce double épisode final voit donc la résolution du rapprochement entre Clara et le Docteur, et surtout la conclusion tragique de la romance que la professeur partage avec Danny Pink. Une histoire imparfaite et complexe mais si justement soutenue par Jenna Coleman et Samuel Anderson qu’elle incite à pointer le très bon travail de direction d’acteurs de cette saison. Un effort qui rejoint une écriture subtile qui n’hésite pas à user de doubles sens (le jeu sur cloud et nuage est savoureux) ni à mêler l’humour noir à la gravité (les souffrances des incinérés dans la nethersphere/le face à face de Danny et de sa victime). De plus en plus denses mais limpides, les scénarios de Steven Moffat se muent au détour d’un plan ou d’un dialogue en vaste réseau de connexions instantanées aux 50 ans d’Histoire de la série. Débarrassé du diktat des timey winey et du rythme soutenu, le showrunner laisse aussi ses personnages vivre dans de longues scènes, accordant le temps aux acteurs de faire naître l’émotion, sans nécessairement avoir besoin de Murray Gold pour appuyer (s’il vient, c’est du bonus). Le pari est gagné car cette saison est rétrospectivement la plus aboutie du showrunner. Elle renoue avec la simplicité, l’humour, le rythme (+ de loners = – de remplissage) et l’émotion brute des saisons Daviesiennes tout en apportant une profondeur, une conscience politique et citoyenne (proche de la période de Three) et un sens du non-dit qui les surpasse.
« never trust a hug. It’s just a way to hide your face »
Cette triste aventure se clôt sur les liens limpides du Docteur avec Clara Oswald, deux menteurs solitaires qui ne pourront fatalement plus se passer l’un de l’autre.
N : 10
IM : 9
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